La charité : suprême loi de l’éthique chrétienne
La charité, du latin, caritas, désigne l’amour, moteur et fin essentiels de toute la vie chrétienne. La charité est, en effet, comme le présente Saint Paul dans l’hymne à l’amour (1Co 13), la plus grande des trois vertus théologales. Elle est même caractérisée de « reine des vertus »1 . Elle est aussi essentielle que sans elle, toutes nos actions et même les exploits que nous pouvons accomplir sont vains : « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante ». Jean-Marie Aubert synthétise tout ce qui précède en ces termes :
on définira la place de la charité par rapport aux autres vertus par lafinalité supérieurevers laquelle elle
les élève et par la motion efficacequ’elle leur procure. La charité doit donc être conçue essentiellement
comme le moteur et la fin de la vie morale, car seule elle procure aux actes humains leur bonté
fondamentale (simpliciter) du fait qu’elle seule les meut et les oriente vers leur fin ultime . .2
La charité est donc le cœur et la finalité de toute la pensée et de l’agir social de l’Eglise. Elle en est la suprême loi, car elle vient de Dieu, « Principe et fondement » de tout, pour reprendre ces mots de Saint Ignace de Loyola dans les Exercices Spirituels
La nouveauté de l’éthique chrétienne à l’école de la Pensée Sociale de l’Eglise est de nous faire contempler la charité ou encore l’amour dans la figure d’une personne, Jésus-Christ. Sa vie même est l’illustration reluisante de la réalité de la charité ou de l’amour dans la vérité. Avec lui, « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Mt 11,5 ; cf. Is 61, 1-3). Car, il est passé partout en faisant le bien (Ac10, 38). Aussi, l’amour dans la vérité qu’il enseigne se perçoit dans le style d’oblation totale de soi dont toute sa vie est l’exemple : « Ma vie, dit-il, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Cf. Jn10, 18). Jean précise d’ailleurs un peu plus loin dans son évangile : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jn13, 1).
Vivre l’évangile social dans un sillage qui en donne toute la fécondité, c’est faire habiter au cœur de toute action sociale la charité ou l’amour, dont Jésus-Christ demeure le modèle par sa vie totalement offerte. Mais au fond, un regard réaliste fait découvrir au cœur de l’homme, entre autres, une tendance vraiment égoïste que seule l’ouverture à l’évangile aide à dépasser, à l’école de Jésus. Le pape Benoît XVI le notifiait bien dans sa lettre encyclique Caritas in Veritate :
Jésus-Christ purifie et libère de nos pauvretés humaines la recherche de l’amour et de la vérité et il nous
révèle en plénitude l’initiative d’amour ainsi que le projet de la vie vraie que Dieu a préparée pour nous.
Dans le Christ, l’amour dans la vérité devient le Visage de sa Personne .3
L’éthique chrétienne, s’il est en une de bien crédible, s’inspire des faits et gestes d’humanité partagée de Jésus-Christ, personnification de la Charité. La charité elle-même est caractérisée comme « la voie maîtresse de la doctrine Sociale de l’Eglise » , en tant qu’elle est « le principe non seulement des microrelations : rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des macrorelations : rapports sociaux, économiques, politiques » 5 .
L’essentialité de la charité pour la vie chrétienne est à cueillir dans le raccourci saisissant qu’on retrouve en définitive sous la plume de Saint Augustin : « aime et fais ce que tu veux »6 (dilige et quod vis fac !), sachant que quand on aime dans la vérité, on ne fait pas n’importe quoi. On pose des actes sensés dans l’amour et donc enracinés en Dieu qui est l’Amour (Cf. 1 Jn4, 8.16). Comme l’évêque d’Hippone l’exprime bien dans sa prière : « Si tu te tais, tais-toi par Amour, si tu parles, parle par Amour, si tu corriges, corrige par Amour, si tu pardonnes, pardonne par Amour. Aie au fond du cœur la racine de l'Amour : de cette racine, rien ne peut sortir de mauvais » 7. Tel est le challenge auquel nous confronte l’éthique chrétienne dont le cœur est la charité pour une vie et un agir social transfigurés par l’amour.
Père Colbert GOUDJINOU
Directeur de l’IAJP/CO
1- Voir Philippe DELHAYE, « La charité, Reine des vertus », in Vie spirituelle Supplément, N°41, 1957, 167.
2- Jean-Marie AUBERT, Abrégé de la morale catholique, Desclée, Paris 1987, 200.
3- BENOIT XVI, Lettre Encyclique Caritas in Veritate, n°1 :AAS, 101, 2009, 641.
4- BENOIT XVI, Lettre Encyclique Caritas in Veritate, n°2 : AAS, 101, 2009, 642.
5- BENOIT XVI, Lettre Encyclique Caritas in Veritate, n°2 : AAS, 101, 2009, 642.
6- AUGUSTIN, Homélies sur la première Epîtrede saint Jean,Traité VII, 7-8BA 76, 303-305.
7- AUGUSTIN, Homélies sur la première Epîtrede saint Jean, TraitéVII, 7-8BA 76, 303-305.