Le travail, une punition ou un bien ?
L’étymologie du mot travail, tripalium, qui antiquement renvoie à un instrument d’immobilisationet de tortureà trois pieuxutilisé par les Romainspour punir les esclaves rebelles [1] , et une certaine interprétation de la Genèse par rapport à l’histoire du péché et de la désobéissance à Dieu font accueillir de façon assez négative le concept et la réalité du travail.
Par rapport à l’histoire antique, deux milieux, celui grec et celui romain ont comme introduit une idée assez dépréciative du travail manuel ou physique par le peu de considération accordée à ceux qui l’exerçaient.
En milieu grec donc, notons qu’Hérodote, historien du Vème siècle avant Jésus-Christ a pu écrire :
Grecs et Egyptiens et presque tous les barbares (Thraces, Scythes, Perses, Lydiens, etc.) sont unanimes à considérer comme inférieurs les citoyens qui exercent les travaux manuels et estiment comme personnes dignes seulement celles qui n’y sont pas astreintes, surtout celles qui sont dédiées au métier des armes . [2]
Il ressort de la pensée d’Hérodote que le travail manuel serait pour lui, propre aux citoyens considérés inférieurs et pour ceux qui sont esclaves.
Chez Platon (426-347 av. J.C), on voit cette sorte de mépris du travail manuel également. Il déclarait en effet « qu’une personne bien déprécie le travail manuel » [3] . Dans le même sillage, Aristote (384-321) retient que « dans une cité parfaite, on ne doit pas permettre à un artisan d’en faire partie comme citoyen » [4] . On lit aussi chez Xénophon (430-354) historien et moraliste, contemporain de Platon que « les métiers manuels qui portent avec eux une marque sociale, sont déshonorants pour la cité » [5] . On comprend pourquoi sous le poids de pareils discrédits, le travail manuel soit longtemps laissé aux prolétaires misérables et surtout aux esclaves.
A Rome et précisément après les grandes conquêtes méditerranéennes, cette influence négative de la Grèce et de l’Orient s’est ressentie. C’est le cas, chez Cicéron (105-43), dans son De ufficis dédié à l’éducation de son fils Marcus. Il y définissait comme vils ou méprisables, les métiers artisanaux [I, 42]. Ce sont là des « paroles qui, comme l’écrivait Pie XI dans sa lettre encyclique DiviniRedemptoris, feraient honte à n’importe quel sociologue.
Pour ce qui est d’une certaine interprétation de l’histoire du péché et de la désobéissance, rappelons que le mandat de "travailler la terre", pour ainsi dire, était déjà donné à l’homme dès les premiers moments avec la création. C’est ce qu’exprime entre autre Gn 1, 28 : « Soyez fécond et prolifiques, remplissez la terre et dominez-là ». La domination dont il est question est de faire de la terre notre « domus », notre maison commune, pour reprendre cette expression bien affective du pape François dans la lettre encyclique Laudato si’. Il ne s’agit pas d’une exploitation sauvage ou inconsidérée de la terre. Le travail était donc de l’ordre des recommandations positives de Dieu pour l’homme. Situer alors une acception négative du travail dans la Genèse en prenant appui sur Genèse 3,17-19 qui exprime la punition suite au péché en ces termes :
… le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des champs. A la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au sol car c’est de lui que tu as été pris…
Situer donc une telle acception négative du travail à partir de ce lieu de la Genèse, n’est pas rendre justice au texte. Dieu a en effet voulu de tout temps associer l’homme à l’œuvre de création par son travail, en tant que Lui, le premier, a travaillé en créant, et qu’il fait de l’homme, être à son image et à sa ressemblance, un partenaire privilégié à la poursuite de la création par le travail.
Le travail, loin d’être une punition, est donc un bien. Il ne retrouve une acception négative que par rapport aux conditions faites à l’homme au travail. En effet, chaque fois qu’on n’aura pas respecté la dignité de l’homme au travail, le travail recouvrera une signification négative, non à cause du type de travail que l’on fait, mais à cause du non-respect des conditions de dignité de l’homme au travail.
Voilà pourquoi, pour ce qui est du travail en soi, l’anthropologie biblique le promeut et en exalte bien éloquemment la valeur. Dieu lui-même d’ailleurs a été présenté dans le deuxième récit de la création comme un artiste, un potier : « Le Seigneur Dieu modela du sol toute bête des champs et tout oiseau du ciel qu’il amena à l’homme pour voir comment il les désignerait » (Gn 2, 19). A la suite de Dieu, l’homme, intendant de tout le créé, pour la confiance que Dieu lui fait, est celui qui va en assurer l’intendance pour son bonheur et dans la communion avec Dieu, et pour cause.
Père Colbert GOUDJINOU
Directeur de l’IAJP/CO
[1] Cf. https://fr.wiktionary.org/wiki/tripalium (Consulté le 19 avril 2018).
[2] HERODOTE, Histoires, II, 155 s.
[3] PLATON, République, IV, 428.
[4] ARISTOTE, Politique, III, 4, 1277.
[5] XENOPHON, Economique, IV, 203