Le principe de la dignité de l’homme : qu’est-ce que l’homme à la gloire de Dieu ?
Poursuivant notre approfondissement sur les principes de réflexion en Doctrine Sociale de l’Eglise, nous voulons, en ce mois de décembre, aller plus loin par rapport au principe de la dignité de l’homme sous l’angle de la nouveauté du mystère de l’Incarnation.
Pensant à la question de la dignité de l’homme, on ne saurait oublier la réalité des droits de l’homme aujourd’hui. La tentation est grande, à ce sujet, dans une société traversée par le libéralisme et les aspects tendancieux de la mondialisation, de croire que les droits personnels ne sont assumés que lorsque nous sommes affranchis, dégagés de toute norme de la loi divine. « Mais en suivant cette voie, la dignité de l’homme, loin d’être sauvée, s’évanouit » . Car, que vaut la vie de l’homme laissé à lui-même ? Quand l’homme devient sa propre loi, il devient finalement moins humain. La dignité de l’homme a besoin de se déterminer entre ralliement politique et observance de l’Evangile ou recherche de fidélité à Dieu.
Assez clairement dans la réalité du vécu, trois niveaux émergent :
-La dignité de l’homme autoréférentiel
-La dignité de l’homme en lien avec le Transcendant
-La dignité de l’homme en clé christologique
1. La dignité de l’homme autoréférentiel
La dignité de l’homme autoréférentiel, c’est l’homme dans son autonomie absolue. Ce qui, dans la vérité de la vie, est déjà en soi un mensonge, car l’homme est limité et fondamentalement dépendant de l’Etre Suprême, des autres et de la nature. Naissant dans un cadre dont il se reçoit, l’homme doit savoir aussi penser à l’origine de sa vie. L’homme en effet n’est pas le fruit du hasard ni de la nécessité. Sinon, on peut le gérer comme on voudrait, car il serait comme un élément quelconque de la nature.
L’homme qui se considère comme réalité absolument autonome se prend en flagrant délit de contradiction ; car il voudrait que les autres respectent sa volonté, oubliant que les autres peuvent prétendre la même chose que lui, niant ainsi sa pseudo-liberté. C’est la prétention de l’humanisme athée. On croit rendre l’homme plus fort, plus « libre » en méconnaissant ses limites réelles, pour inventer en lui un surhomme de type Nietzschéen.
La conséquence d’une telle conception, c’est de créer un monde de violence du prochain dans le but de s’imposer absolument, créant un climat de « guerre de tous contre tous » , pour reprendre cette image de Hobbes. L’homme autoréférentiel, c’est l’homme en proie à devenir un être sans foi ni loi, puisque rien ne doit freiner ou ne peut rationnellement limiter ses prises de position. On voit bien le type d’anthropologie conséquente à une telle conception : c’est l’homme dictateur ou foncièrement égoïste et finalement malheureux. Il vit mal et se condamne à l’insociabilité.
Mais, sitôt que l’homme prend la vraie mesure de ses limites, il conçoit aussi rationnellement une réalité Suprême, Transcendante qui fonde sa dignité. Nous accédons ainsi à un second niveau de considération.
2. La dignité de l’homme en lien avec le Transcendant
Une telle conception reconnaît à l’homme une nature garantie par la loi de l’Etre qui est à l’origine de l’homme, Dieu. Et sitôt que l’on fait appel à la réalité divine, change aussi la conception et le mode de traitement de l’homme. C’est sur la conception de l’être Transcendant que les constitutionnalistes américains ont fondé la réalité de l’Etat. Cet être Transcendant fait appel à la Ius naturale ; c’est que le Pape Benoît XVI a appelé par ailleurs « le message éthique contenu dans l’être » . C’est une manière de faire appel au Créateur qui a mis sa loi au fond des êtres créés, au point où ce sceau du Créateur doit conduire au respect de chaque créature.
Chaque personne humaine, tout en étant liée à la Transcendance, conserve sa liberté pour discerner et agir. Il y a donc une certaine autonomie du temporel dans le champ politique, tout autant que dans le domaine scientifique. Mais, comme le précise le Concile dans Gaudium et Spes 36 § 3, « si, par « autonomie du temporel », on veut dire que les choses créées ne dépendent pas de Dieu et que l’homme peut en disposer sans référence au Créateur, la fausseté de tels propos ne peut échapper à quiconque reconnaît Dieu. En effet, la créature sans Créateur s’évanouit. Du reste, tous les croyants, à quelque religion qu’ils appartiennent, ont toujours entendu la voix de Dieu et sa manifestation, dans le langage des créatures. Et même, l’oubli de Dieu rend opaque la créature elle-même ».
Avec la foi chrétienne, nous entrons dans une voie plus décisive de conception de la dignité de l’homme. Cela nous inscrit dans une interprétation de la vie de l’homme en gamme christologique.
3. La dignité de l’homme en clé christologique.
En perspective christologique, le chrétien est appelé à partager la vie divine. Il appartient à un Corps dont Christ est la tête (Cf. 1 Co 12). Le style de vie qui correspond à la dignité de la vie dans le Christ, c’est d’être, comme dit la deuxième lettre aux Corinthiens (2 Co 5, 17), « une créature nouvelle ». Cela entraîne que l’on renonce à ce que Saint Paul appelle dans la lettre aux Galates « les tendances égoïstes de la chair » (Ga 5, 16). La solidarité dont est l’exemple la vie même du Christ engage sur la voie d’une humanité qui s’exprime fondamentalement par la solidarité. On comprend que pour qui vit dans le Christ, il n’y pas de place pour la « mondialisation de l’indifférence », comme le rappelle souvent le Pape François. On se reconnaît frères et on apprend à porter le poids les uns des autres (Cf. Ga 6, 2). On accueille donc sa dignité personnelle et celle des autres, et on apprend à se gérer avec amitié et considération. On peut aller jusqu’au sacrifice de soi par amour, à l’exemple du Christ. Au nom du Christ, on peut ramer à contre courant, sachant même s’opposer au ralliement politique au nom de sa foi au Christ.
En Christ, en effet, s’inaugure une humanité nouvelle, où son mystère pascal donne force et courage, même devant la mort. « Ne perdez pas confiance, moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16, 33).
Le mystère de la naissance du Christ dans le monde a précisément pour objectif d’inscrire l’homme dans le contexte et les conditions pour vivre de la grâce du Salut. Et l’homme voit sa dignité rehaussée à la capacité de relation avec Dieu, voire à une divinisation dans le Christ. « Reconnais, o Chrétien ta dignité » , alors ta vie et la vie du frère passent à une gamme supérieure de considération.
Contemplant Dieu dans le mystère de Noël dans quelques jours ou vivant déjà du mystère de Noël, puissions-nous nous laisser renouveler de l’intérieur, pour un nouveau style de vie qui chante l’homme et la gloire dont il est revêtu aux yeux de Dieu.
Père Colbert GOUDJINOU
Directeur de l’IAJP/CO