Du bien commun au principe de participation
Le bien commun ne peut advenir sans que l’individu et la société n’assument leurs responsabilités spécifiques. Sitôt que la société veut se substituer à l’individu, l’on assiste à une sorte de parasitisme ou d’omnipotence qui ne rend service, ni à l’individu, ni à la société. Quand par contre l’individu impose absolument sa loi, on bascule dans un égoïsme qui ne rend pas service au bien commun. Echapper à toute forme de totalitarisme, voilà la clé pour l’épanouissement de la vraie participation.Car, sa réalisation postule d’un nécessaire contexte de collaboration individuelle et sociale à la vie. Epouser un tel esprit de participation, c’est par exemples ne plus rester indifférent devant l’insalubrité dans nos villes et villages, c’est prendre sa part pour que diverses structures publiques ou privées soient entretenues avec le soin qui convient à la dignité de l’homme.
Mais, avant d’en venir aux implications du principe de participation, élucidons-en synthétiquement le concept. Qu’est-ce que la participation ?
Le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Egliseavant tout, montre avec grande pertinence quela participation suppose la subsidiarité. Retenons globalement que le principe de participation est un principe qui s’exprime
« essentiellement, en une série d’activités à travers lesquelles le citoyen, comme individu ou en association
avec d’autres, directement ou au moyen de ses représentants, contribue à la vie culturelle, économique,
sociale et politique de la communauté civile à laquelle il appartient » 1 .
En tant que telle, elle est un devoir pour tous.Le principe de participation met en jeu chacun par rapport au spécifique don qu’il a reçu et qui lui permet de devenir, en quelque sorte, une opportunité pour soi-même et pour les autres. Le vocable « opportunité » doit s’entendre ici, non seulement au sens utilitaire du terme, mais aussi dans une visée plus globale de réalisation du dessein de Dieu pour la personne. Car, « l’homme passe infiniment l’homme » 2 et ne saurait être confiné à la matière. Aussi ajoute Pascal : « Si c’est un aveuglement surnaturel de vivre sans chercher ce qu’on est, c’en est un terrible de vivre mal en croyant Dieu. » 3 .De plus,le dessein de la vie de l’homme se réaliste-t-il, non dans une attitude fataliste qui le fixerait dans l’inertie et le placerait devant un destin implacable, mais l’entraînerait plutôt dans un plein engagement du potentiel, des talents, des dons reçus.
Les dons reçus sont le signe et l’invitation à chacun de savoir déployer ses capacités, comme l’exprime allégoriquement la parabole des talents dans l’Evangile Saint Mathieu (Mt25, 14-30).
La parabole met en effet en exergue comment Dieu a donné des talents à chaque homme selon ses capacités. Comme la lampe qu’on n’allume, pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur le lampadaire (Mt 5, 15ss), notre lumière est appelée à briller devant les hommes. Il s’agit de briller non dans un esprit d’ostentation, mais dans l’expression de ce qui nous distingue. C’est une question d’ « être », qui se joue dans la réponse à ce que chacun porte de plus intime et de plus spécifique comme capacités, talents ou dons.
La participation à laquelle nous réveille la Doctrine Sociale de l’Eglise, est le mode concret de voir s’épanouir la société à partir de l’opportunité potentielle qu’est chacun pour le monde. D’abord, pour ce qu’il est : « image et ressemblance de Dieu » et pour ce qu’il a : ses dons. Le principe de participation devient un mode pour célébrer l’engagement dans la vie personnelle et sociale. C’est un contexte qui ouvre à l’émulation et à l’effort d’autodépassement. Cette participation est d’autant plus décisive à la vie sociale qu’elle est ouverte à la Transcendance.
En effet, la foi, la vraie, ouvre dans le cœur de tout homme un chemin de générosité et donne un « supplément d’âme » (l’expression est de Ste Elisabeth de la Trinité) pour savoir persévérer dans les réalités positives qui exigent de l’endurance. Le pape Benoît XVI exprimait bien les avantages de l’ouverture à la transcendance, ou plus précisément, de l’ouverture à la foi chrétienne en des termes bien suggestifs.Ses paroles remontent à l’année 2010, au XIVè Congrès du Conseil Pontifical pour les Laïcs. Il disait :
« la contribution des chrétiens est décisive uniquement si l’intelligence de la foi devient intelligence de la
réalité, clé de jugement et de transformation » 4 .
La participation requise de chacun dans la vie sociale ne peut s’épanouir hors du giron de la foi. L’intelligence de la foi est appelée à devenir intelligence de la réalité. Car, la vraie foi est incarnée. Et si elle est incarnée, elle se développe dans un sens d’intégration à la réalité humaine totale. On se sent alors concerné par les situations qui engagent sa vie et la destinée de l’humanité. On prend alors sa part à l’édification de la société, non avec une prétention de sauveur, mais dans le désir de donner le meilleur possible de soi.
Du reste, ce qui nous ouvre fondamentalement à la participation, c’est ce sentir profondément humain. L’on passe logiquement de la compassion à l’action, comme manière de savoir aussi réagir, dans la mesure du possible, proportionnellement à ce que requiert le contexte considéré.
La fondamentale clé d’accès rationnel à la participation, c’est l’éducation des jeunes ; une éducation qui cultive en eux les compétences dont notre temps a besoin 5 et une éducation qui fasse d’eux des gens profondément humains. Ceci implique que l’on sache dépasser toute éthique individualiste pour s’ouvrir à la dimension de la grandeur de la vie humaine.
Conséquemment, l’on sait alors entrer dans les combats qui exigent grandeur d’âme et compétence cultivée par l’éducation. Le concile l’exprime bien : « l’avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer »6 . Tel est l’horizon ouvert auquel intègre un authentique engagement dans la participation.
Père Colbert GOUDJINOU
Directeur de l’IAJP/CO