Vivre d’une foi incarnée, c’est aussi prendre soin de l’environnement
4è partie (2/2) : Vivre d’une foi incarnée par le soin à l’environnement
Si nous réalisons avec lucidité que dans la vie, tout est lié, l’éthique religieuse qu’inspire la foi, si elle se veut au service de l’homme dans la société et dans une vision intégrale de l’histoire, ne saurait nous replier dans une sphère retirée de la vie sociale. La crédibilité d’une religion se note aussi dans sa capacité à contribuer à une transformation qualitative de la vie personnelle et sociale. Comme le note avec pertinence le pape François : « quand la technique ignore les grands principes éthiques, elle finit par considérer comme légitime n’importe quelle pratique (…), la technique séparée de l’éthique sera difficilement capable d’autolimiter son propre pouvoir. »1 , ainsi en est-il de chaque domaine de l’univers et de la vie sans l’éthique. L’éthique religieuse, pour sa part, par le fait qu’elle ouvre sur la Transcendance et au Transcendant est supposée élever au-dessus des intérêts immédiats, tout en y restant liés, car la foi est avant tout au service de la vie et pour sa transformation qualitative.
La foi, comme opportunité de relation à la Transcendance, est aussi supposée encourager la solidarité entre les hommes. Prenant justement la mesure de l’ampleur de la question écologique et de l’interconnexion de tous les éléments du cosmos, l’éthique qui émane de la foi, si elle est réaliste, devrait apporter un plus, un surcroît de motivation pour l’entretien de l’environnement. Comme l’a fait remarquer le pape François, partant même du sens que nous sommes une seule famille humaine : « Il n’y a pas de frontières ni de barrières politiques ou sociales qui nous permette de nous isoler, et pour cela même, il n’y plus de place pour une globalisation de l’indifférence ». 2
Chacune des professions de foi est convoquée à libérer sa sagesse d’humanité pour aider aux réponses adéquates aux crises environnementales ou écologiques. C’est en cela que tiendrait le réalisme de l’incarnation de toute foi. Car la vie de l’homme est assurément possible dans le respect des équilibres bien délicats, à plusieurs égards, entre les êtres de l’univers (Cosmos). Dans la foi judéo-chrétienne que nous connaissons, on lit par exemple dans le livre du Deutéronome :
Si tu vois tomber en chemin l’âne ou le bœuf de ton frère, tu ne te déroberas pas [...] Si tu rencontres en chemin un nid avec des oisillons ou des œufs, sur un arbre ou par terre, et que la mère soit posée sur les oisillons ou les œufs, tu ne prendras pas la mère sur les petits (Dt 22, 4.6).
Ces subtiles indications de l’Ecriture sont l’expression d’une éthique environnementale qui communique le sens d’un respect certain des éléments de la nature pour encourager la culture de la biodiversité et la possible pérennisation des espèces.
Dans l’Islam, un maître spirituel comme Alî al-Khawwâs, à partir de sa propre expérience, soulignait la nécessité de ne pas trop séparer les créatures du monde de l’expérience intérieure de Dieu. Pour lui :
il ne faut donc pas blâmer de parti pris les gens de chercher l’extase dans la musique et la poésie. Il y a un ‘‘secret’’ subtil dans chacun des mouvements et des sons du monde. Les initiés arrivent à saisir ce que disent le vent qui souffle, les arbres qui se penchent, l’eau qui coule, les mouches qui bourdonnent, les portes qui grincent, le chant des oiseaux, le pincement des cordes, le sifflement de la flûte, le soupir des malades, le gémissement de l’affligé… 3
Toute foi, dans son attention à tous les aspects de la vie et aux éléments de la nature, parce que portée par une éthique religieuse, insuffle l’adoption d’un style de vie où la présence à tout ce qui promeut la cohérence dans le cosmos, est encouragée. D’ailleurs comme l’exprime Saint Paul : « la grandeur et la beauté de la nature nous font contempler par analogie celui qui est leur créateur (Cf. Rm1, 19-20). Le monde créé l’est en général pour le bien de l’homme dans la recherche d’une harmonie certaine avec le cosmos. Aussi la foi, si elle est réellement incarnée, aide l’homme à se défaire autant que possible de l’autoréférentialité et de l’isolement, fruit d’une conception purement égoïste de sa vie. L’homme entre alors dans la dimension bienfaisante de l’hétéronomie dans son rapport au cosmos.
L’ouverture à l’éthique de la foi porte à apprécier chaque effort, si minime soit-il. L’éthique étant orientée fondamentalement au bien, on comprend que c’est « quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour évaluer ce qui est beau, qu’il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus sans scrupule ». 4
Une foi incarnée devient alors une opportunité, une chance pour l’engagement écologique quand elle pose ses bases dans une spiritualité qui encourage, de façon réaliste, la présence au monde. Nous sommes poussés à faire jaillir toutes les conséquences de sa connaissance de la Transcendance sur le style de rapport à l’univers, au monde qui nous entoure. En contexte judéo-chrétien, on se rappellera les mots fort provocateurs de Saint Jacques : « montre-moi ta foi sans les œuvres : moi c’est par mes œuvres que je te montrerai ma foi » (Jacques 2, 18). Nous sommes alors interpellés à donner un contenu réel à la foi quelle que soit notre obédience religieuse. Car la foi incarnée s’apprécie dans la capacité à articuler tous les domaines de la vie de façon cohérente à la relation au monde qui nous entoure. Ce n’est qu’à ce prix que la foi montre sa fécondité et son utilité pour la vie. Tous, autant que nous sommes, nous avons une obédience religieuse, à nous de mettre en œuvre sa crédibilité dans notre engagement qui ne méprise pas l’écologie nécessaire à la vie.
Père Colbert GOUDJINOU
Directeur de l’IAJP/CO
1 - FRANCOIS, Lettre encyclique Laudato si’ n°136 : AAS 107, 2015, n°9, 902.
2 - FRANCOIS, Lettre encyclique Laudato si’ n° 52 : AAS 107, 2015, n°9, 867.
3 - EVA de Vitray-Meyerovitch (Editeur), Anthologie du soufisme, Paris 1978, 200.,
4 - FRANCOIS, Lettre encyclique Laudato si’ n°215 : AAS 107, 2015, n°9, 932.