AU SUJET DU PRINCIPE DE LA DIGNITE DE L’HOMME
Le premier principe que nous commençons à découvrir ici est le principe de la dignité de l’homme. On peut l’assimiler au fondement anthropologique sur lequel repose la Doctrine Sociale de l’Eglise. Pour l’Eglise en effet, l’homme n’est pas une réalité quelconque; Il est une personne. Et la personne selon la classique définition de Boèce est : « une substance individuelle de nature rationnelle ». D’où sa capacité de connaître et de comprendre ainsi que sa possibilité de s’orienter vers un horizon de sens[1] pour sa vie. Rappelez-vous la pensée aristotélicienne (que nous avions citée sous la plume de Maritain dans le mot du mois de Juillet) selon laquelle c’est trahir l’homme et vouloir son malheur que de ne pas considérer en lui la réalité de l’esprit qui l’appelle à un « mieux qu’une vie purement humaine ». Car l’esprit en l’homme est capacité d’élévation et de transcendance de la réalité matérielle (qu’il est et à laquelle il n’est pas confiné). Si l’on accueille alors la réalité de la dignité de l’homme, on revêt l’homme d’une considération qui en fait une réalité sacrée[2] , digne de respect, inviolable, quelle que soit sa petitesse, sa race ou la couleur de sa peau. Car la réalité ontologique des personnes est la même, au-delà des accidents[3] ou du milieu géographique de provenance. Confirme bien cette idée de la dignité de l’homme le Radiomessage du Pape Pie XII de Noël 1944 devenu célèbre : « L’homme loin d’être l’objet et comme élément passif de la vie sociale, en est au contraire et doit en être et demeurer le sujet, le fondement et la fin […] Nous disons que l’homme est libre, lié par ses devoirs, doté de droits inviolables, l’origine et la fin de la société humaine»[4] .
La nouveauté qu’apporte la foi chrétienne à ce principe de la dignité de l’homme est de considérer l’homme comme être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ; et pour cause. L’homme n’est pas l’auteur de sa vie, ni le créateur du monde. Le monde en effet préexiste à l’homme et aucun humain jusque-là n’a pu et ne peut prétendre en être à l’origine. Même s’il le prétendait, ce ne serait qu’une prétention. Le monde en effet a existé avant la naissance de l’homme et probablement subsistera au-delà de l’homme. L’homme, quant à lui, se reçoit d’un Etre Supérieur, car le monde est tellement organisé qu’il ne saurait être le fruit du hasard et de la nécessité. La réflexion philosophique en cela peut beaucoup aider dans la recherche du principe premier qui demeure un postulat dans le contexte de la logique humaine de causalité. Car on évolue d’effet en cause jusqu’à la nécessité d’une cause qui soit au principe de tout, ce que Aristote dans sa théorie des moteurs a appelé la « cause incausée ».
L’expérience de la foi quant à elle, va au-delà de cette théorie rationnelle avec la découverte et le cheminement avec Dieu qui n’est pas le fruit de l’intelligence de l’homme. Dieu est un être personnel, qui entre en relation avec l’homme en Jésus-Christ. Et là se perçoivent profondément la valeur et l’importance de l’homme pour le Dieu Personnel en Jésus-Christ.
L’Expérience de la foi confère donc une dignité ajoutée à l’homme en tant qu’il n’est pas une réalité quelconque, mais image et ressemblance de Dieu. Dieu n’étant pas solitaire, mais un être communautaire, comme le confirme la Révélation en Jésus Christ d’un Dieu trinitaire, Il est fondamentalement un être de relation. D’où les relations trinitaires comme l’évangile nous le révèle partant du mystère de l’Incarnation. A Philippe qui lui dit : « Seigneur, montre nous le Père et cela nous suffit, Jésus Répond : qui m’a vu a vu le Père. (…) Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » ( Jn 14,8-10). L’homme étant créé à l’image de Dieu, porte en lui une personnalité et a la ressemblance de Dieu. Il est alors capable de relation : relation avec la Transcendance dans sa réalité spirituelle et relation avec ses semblables comme personne : une substance individuelle de nature rationnelle(Boèce).
Accueillir le principe de la dignité de l’homme, c’est pour l’homme de foi, accueillir la grandeur de l’homme dans le destin de Dieu, qui le veut pour la relation avec Lui. Le projet Deutéronomiste confirme bien dans le contexte de la Révélation biblique : « Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu » (Es.6,7 ;19,5 ; Jér.30,32 ; Lév. 26,12). Et comme pour Dieu, l’homme, tout homme a du prix, le principe de la dignité de l’homme, accueilli dans ce contexte de la Doctrine Sociale de l’Eglise, qui est une foi en Dieu et en l’homme, instaure pour la société un climat où la personne humaine doit être éminemment respectée. Le mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu le confirme : Dieu qui vient planter sa tente au milieu des hommes (cf. Jn1, 14) et qui se fait Emmanuel, c'est-à-dire : « Dieu avec nous » (Cf. Is 7,14 ; Mt1, 23), en raison de la grandeur de l’homme pour Dieu. On comprend alors, en référence du prix qu’a l’homme pour Dieu, le fait que l’on ait affaire à Dieu quand on touche même au plus petit. L’évangéliste Matthieu situe bien cette perspective dans sa parabole du jugement dernier où il conclut de la part du juge à la fin des temps : « En vérité, je vous le dit, tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,45).
Donner sens à la vie de l’homme, c’est accueillir la grandeur et la sublimité de sa vie pour l’être qu’il est ontologiquement : image et ressemblance de Dieu. Il est donc doté d’une dignité et évolue vers un horizon de sens qui lui fait transcender la matérialité et donc fait qu’il ne saurait y être confiné à tort. Dieu témoignage de cette grandeur de la vie de l’homme en entrant personnellement en Alliance avec lui, comme l’illustre le mystère de l’Incarnation qui marque à jamais l’histoire, au point où l’on parle d’ ‘Avant Jésus-Christ’ et d’ ‘Après-Jésus-Christ’. Jésus-Christ n’est donc pas un mythe, mais une réalité, une Personne. L’accueil positif de ce principe de la dignité de l’homme a pour sa part des conséquences insoupçonnables sur la manière de le traiter dans la vie sociale à l’école du Christ qui en fait le compagnon. L’objet de notre mot du mois de septembre est précisément de tirer les conséquences découlant de ce principe de la dignité de l’homme. Je vous remercie.
Père Colbert GOUDJINOU
Directeur de l’IAJP/CO