De l’éthique personnaliste
L’optique dans laquelle l’on aborde la question sociale est celle personnaliste, voilà pourquoi, en ce mois de février, nous voulons offrir une vue synthétique de l’éthique personnaliste pour en tirer les implications positives pour la vie sociale. Avant toute considération, remarquons que le vocable « personnalisme » renvoie à la réalité de la personne.
La personne, du latinpersona (masque) rendu en grec par prosôpon (face, visage), renvoie à ce qui est donné à voir, ce qui est exposé au regard de l’autre. Approfondissant l’acception latine, on pense au rôle joué par un personnage au théâtre. C’est avec le temps que le mot personne a désigné celui qui parle derrière le masque. L’accès à la personne se fait par l’intériorité, car comme le précise bien Thomas de Koninck, « une personne est un être qui pense, sent, aime comme nous »1 . Partant de l’intériorité et de la capacité de voir autrui comme soi-même, se fait le chemin vers l’éthique du personnalisme. Cette éthique consiste de fait à accorder une valeur intrinsèque à chacun dans le respect et l’inviolabilité de l’être qu’il est. Le personnalisme s’appuie donc, non seulement sur la valeur intrinsèque de la personne mais aussi sur la loi de la réciprocité déjà contenue dans le code d’Hammurabi et que le christianisme met au goût du jour en des paroles claires : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 36-40), « Toutes les choses donc que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les-leur, vous aussi, de même ; car c’est là la loi et les prophètes. » (Mt 7, 12).
La personne a donc de la valeur non pas en raison de ce qu’elle fait ni en considération de sa classe sociale, mais d’abord et avant tout pour ce qu’elle est en soi. C’est en raison de cette dimension irréductible de la personne que la dignité est pour tous, riches ou pauvres. Une formule de Paul Ricœur le rend en un langage simple : « quelque chose est dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain »2 . Une telle éthique personnaliste habite diverses formes de sagesse de par le monde.
• Ainsi en Inde, les lois de Manu établissent : « les enfants, les vieillards, les pauvres et les malades doivent être considérés comme les seigneurs de l’atmosphère ».
• La sagesse chinoise place en grande estime la « capacité de se confronter aux autres », qui est « un sentiment actif de la dignité humaine » fondé sur le respect de soi et le respect d’autrui . 3
• Le Coran parle du devoir envers les orphelins, les pauvres, les voyageurs sans logis, les nécessiteux ou ceux qui sont faits esclaves .4
• La Doctrine Sociale de l’Eglise parle du principe de l’option préférentielle pour les pauvres. D’ailleurs, Jésus-Christ s’identifie lui-même dans le pauvre. Cf. Mt 25, 30-46.
On comprend alors que l’homme a intrinsèquement de la valeur, même dans le dénuement extrême.La question de fond au plan éthique n’est donc pas de l’ordre de l’avoir mais c’est d’être qu’il s’agit. Sophocle l’exprimait par le vieil Œdipe : « c’est donc quand je ne suis plus rien que je deviens vraiment un homme » . 5
C’est également l’éthique personnaliste qui explique depuis des temps immémoriaux le culte des morts présent dans les traditions de par le monde. C’est ce qu’incarne le geste d’Antigone, toujours chez Sophocle. Antigone en effet, a lutté pour donner une sépulture à son frère Polynice pourtant dénoncé comme traitre. Car en tant qu’humain, il a droit à une sépulture. C’est ce qu’exprime l’importance accordé au culte des morts dans nos traditions, du point de vue de la dignité de l’homme que ces cultes incarnent. Ce faisant, on restitue le mort à la communauté humaine. Antigone risque sa vie pour une telle cause. Thomas de Koninck de conclure, « Ce qu’Antigone fait voir si nettement c’est que, quelle que soit notre condition, nous partageons tous une même humanité, donc une même dignité » .6
Père Colbert GOUDJINOU
Directeur de l’IAJP/CO
1 - De KONINCK, Th., Philosophie de l’éducation pour l’avenir, Presses de l’Université Laval, Québec 2010, 159.
2 - RICOEUR, P., cité par Jean François de Raymond dans Les enjeux des droits de l’homme, Larousse, Paris 1988, 235-236.
3 - Cf. GRANET, M., La pensée chinoise, Albin Michel, Paris 1968, 395-398.
4 - Cf. AZIM Nanji, Islamic Ethics, dansA companion to Ethics, Edition Peter Singer, Basil Blackwell, Oxford 1991, 108.
5 - SOPHOCLE, Œdipe à Colone, texte établi par Alphonse Dain et traduit par Paul Mazon, Les belles lettres, Paris 1960, v.393.
6 - De KONINCK, Th., Philosophie de l’éducation pour l’avenir, Presses de l’Université Laval, Québec 2010, 163-164.