La valeur « justice » et sa mise en œuvre dans la vie sociale
Définition sommaire
Selon la classique expression du juriste Ulpianus, la justice consiste à donner à chacun ce qui lui est dû : « unicuique suum tribuere ». Saint Thomas est bien plus précis quand il dit qu’elle « consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui lui est dû » . Cela signifie que, du point de vue subjectif, on accueille l’autre comme personne et du point de vue objectif, cela impose un style de moralité à son égard dans la vie interpersonnelle et sociale.
Du sens de la justice en société
Un niveau raisonnable de justice opère comme un ciment reliant les composantes de la vie sociale ensemble. C’est en effet très réconfortant de sentir généralement la loi comme également appliquée à tous. D’ailleurs, en l’absence de justice minimale, une société peut être disloquée totalement, physiquement et moralement. La tâche à entreprendre, c’est de voir comment éliminer progressivement les injustices quotidiennes, petites ou grandes. La justice consistera en l’atténuation des inégalités et en la promotion de la liberté responsable de chacun de choisir son mode de vie. Amartya Sen développe d’ailleurs dans ce sens l’idée de l’égalité des opportunités et met en exergue ce qu’il appelle les capabilities. Dans son opuscule L’économie est une science morale, il affirme :
Ce qu’il s’agit de distribuer de façon équitable, ce ne sont pas seulement les libertés formelles,
des revenus et des ressources, mais des « capabilités » (capabilities) de développer des modes
de fonctionnement humains fondamentaux (human functionings), permettant de vivre une vie
digne et sensée plutôt que de seulement accumuler des biens .
Le fait est là qu’on ne fait pas confiance à un pouvoir qui promeut l’arbitraire, l’impunité (voire la cruauté inutile), l’impartialité. En ce sens, lorsque, par exemple, la discrimination positive dure trop longtemps, elle peut bien se transformer en privilège et alimenter une culture politique de parrainage, de dépendance et de chantage. Aussi la solidarité ne doit-elle pas se réaliser au détriment de l’équité et de la responsabilité.
De même, lorsque les minorités sont respectées, elles peuvent faire entendre leurs protestations et contribuer au titre de citoyens à part entière, sans complexe d’infériorité, ni recours à la violence. Mais, attention, ce n’est pas en légiférant plus et en passant plus de lois que la société est établie dans la justice. Beaucoup dépend de la mise à œuvre concrète des lois.
On distingue plusieurs formes de justice : la justice commutative, la justice distributive, la justice légale et la justice sociale.
- La justice commutative : Elle est basée sur l’équivalence des obligations et des charges. Elle régit les échanges économiques. Elle est le fondement de la justice distributive.
- La justice distributive : Elle consiste à donner à chacun ce qui lui revient en tenant compte de la différence qui existe entre les individus. Car, traiter de manière égale, dans cette logique, des gens qui se trouvent dans des situations inégales, est une injustice.
- La justice sociale : Elle vise quant à elle l’égalité des droits et ouvre à la nécessité de la solidarité collective entre les membres d’une société. Les mesures de rétablissement de la justice sociale reposent sur un bon système de répartition en vue d’offrir une égalité de chance à tous.
- La justice légale : Que la justice légale (dikaiosunè) soit la représentation de la véritable justice, Aristote ne le nie pas. Il ne rejette pas la tradition mais considérant la situation de décadence des cités libres auxquelles était si intimement liée la conception de la loi, il cherchera de nouvelles assises pour la justice, non pas dans le but d'en rejeter la base traditionnelle mais plutôt de la compléter et de la rendre plus effective.
Ce sont là quelques acceptions et quelques formes de la justice. Elle demeure un des pivots de l’harmonie sociale. Elle est appelée à s’étendre grâce à son ouverture à l’amour et à la solidarité. Mais l’amour (la charité) et la solidarité dans la vérité supposent avant tout, la justice.
Abbé Dr Colbert GOUDJINOU
Directeur de l’IAJP/CO