Le responsable syndical a rappelé à l’occasion, les fondements juridiques du mouvement tant au plan international que national, comme par exemple la Constitution du Bénin en son article 31 ainsi que le Code du travail, en vigueur dans le pays.
Cet encadrement juridique autorise les actions syndicales qui ont nom entre autres: « lettres de protestation, sitings, marches, grèves sur le tas, grèves avec désertion des lieux de travail, saisine des instances nationales, régionales ou internationales » Il s’agit de restaurer la justice sociale qui vient à être mise à mal, provoquant des conflits plus ou moins graves, du fait de la gestion (ou de la gouvernance) singulière de l’employeur.
Mais ce droit de grève reconnu et exercé par les syndicats constitue –t-il en soi une panacée au déficit de justice sociale ? Et parlant de justice sociale, la vision que s’en fait le syndicat est-elle universelle ou exclusivement catégorielle ? Evoquant alors le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise (CDSE) qui introduit sur le droit de grève, la notion de « Bien Commun », en son point 304, le modérateur a invité le père Directeur de l’IAJP à situer les uns et les autres sur cette perspective nouvelle de bien commun dans les luttes syndicales.
Par « bien commun », on entend « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres, d'atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus aisée » Le bien commun doit-on retenir, ne consiste pas « dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social. Étant à tous et à chacun, il est et demeure commun, car indivisible et parce qu'il n'est possible qu'ensemble de l'atteindre, de l'accroître et de le conserver, notamment en vue de l'avenir. »
Est-ce toujours le cas, le vécu ordinaire dans le cadre des luttes syndicales en République du Bénin ?
Invité à se prononcer sur le sujet, M. MEDEGNON, philosophe, a reconnu aussi l’actualité de la question des luttes syndicales au Bénin ; actualité d’une « gravité sévère » selon ses dires. Le chercheur a rappelé les « grèves à répétitions qui ont paralysé notamment les secteurs de l’école et de la santé avec les conséquences qu’on n’imagine pas seulement, mais que hélas, des familles ont vécues et dont elles resteront marquées à vie ». Il a rappelé la réalité du pouvoir du mouvement syndical pour indiquer qu’il s’exerce dans un contexte où ce qui est menacé, « n’est pas ou plus simplement, le pouvoir d’achat ou quelque autre intérêt des travailleurs, mais plus gravement les libertés publiques, la santé publique, l’éducation, bref la vie et l’avenir de la nation ». Le chercheur pense donc que le mouvement syndical est appelé à jouer une partition un peu plus complexe.
M. MEDEGNON estime que les populations ont le sentiment d’être les « victimes innocentes d’un bras-de-fer » entre syndicat et gouvernement, deux protagonistes qui se rejettent le rôle de pyromane alors que tous devant l’opinion jurent de leur bonne foi et déclarent vouloir œuvrer pour la paix et la justice sociale. Se refusant à porter un jugement manichéen sur l’un et l’autre acteur de cette situation qu’il a qualifiée de « pourrie », M. MEDEGNON a toutefois fait remarquer, se référant à l’ouvrage « Anthropologie de la colère » du chercheur Célestin MANGA, qu’il y a un seuil au-delà duquel « la colère est destructrice ». Il a insisté sur la nécessité de la recherche du juste milieu dans la conduite des actions syndicales même si l’employeur « Gouvernement » donne parfois l’impression de vouloir pousser les travailleurs à l’usure en laissant les mouvements s’enliser dans une impasse pour désigner enfin à l’opinion les responsables syndicaux comme des extrémistes qui refusent le dialogue. Il ne fait aucun doute pour l’universitaire que c’est le non-recours à cet instrument majeur de conciliation sociale qu’est le dialogue qui explique l’état de « pourriture » dans lequel les conflits sociaux plongent le Bénin depuis quelques temps.
A ce stade des échanges, le public présent a été invité à participer directement au débat soit pour des éclaircissements ou pour exprimer un avis sur le sujet. Les réactions ont été nombreuses des participants visiblement touchés par un problème brûlant d’intérêt général.
D’abord de façon générale, les uns et les autres ont réaffirmé la nécessité de la défense et du bon encadrement des droits syndicaux pour la justice sociale, « au sens large du concept » comme l’a souhaité un participant, pour la consolidation de la paix et la promotion de la démocratie.
Plusieurs participants ont dénoncé ce qu’ils perçoivent comme une stratégie d’isolement des syndicats dans l’opinion par divers subterfuges qui font piétiner le dialogue et entrainent la situation de pourrissement de la crise sociale observée depuis quelques années au Bénin.
Un participant, en l’occurrence un représentant d’un syndicat du patronat a pour sa part fait observer que dans le privé où sans nul doute l’employeur a le sens de la propriété et affiche sa détermination pour la préservation de son patrimoine, l’attitude face aux revendications catégorielles des syndicats trouve quand même un cadre de dialogue où les négociations sont souvent menées avec efficacité, célérité sans jamais perdre de vue de part et d’autre que ce qui rassemble c’est le travail et la production de richesse à partager. L’intervenant s’est demandé comment les syndicats qui ont pour partenaire l’Etat employeur pourraient ne pas donner l’impression « d’aller trop loin » quand leur interlocuteur semble n’avoir aucune limite dans la dégradation du climat social.
La notion de « limite » ou de « seuil de colère » à ne pas franchir a été largement évoquée par divers intervenants, même si d’aucuns estime qu’on ne saurait demander aux syndicats de « s’arrêter en chemin » alors que l’objectif poursuivi n’est pas atteint et que « l’on ne saurait faire des omelettes sans casser des œufs ». Une formule choc sur laquelle au demeurant le Père Directeur de l’IAJP est revenu de façon spécifique dans son mot de fin pour faire observer que c’est de vies humaines qu’il s’agit et que pour l’Eglise, une seule de détruite est déjà de trop.
On a noté au passage la sorte de désamour entre l’opinion publique et les syndicats du fait de ce climat sombre, même si comme l’a souligné un intervenant, c’est le résultat des manœuvres du gouvernement qui provoque de toute pièce cette exaspération de l’opinion vis-à-vis des syndicats pour les fragiliser et éviter le problème de fond qui est la justice sociale.
Un participant syndicaliste semble ne pas partager cette attitude paradoxale de l’opinion, il a estimé que dans ce qu’il désigne par « pays sérieux », l’opinion sonne l’alarme en réagissant très fermement lorsque le « seuil de l’intolérable » est franchi. Il pense que le grand public doit jouer sa partition au Bénin. Cependant, une interrogation demeurée sans réponse, parce que non débattu dans ce cadre a été soulevée sur cette question de la réactivité des populations dans le contexte démocratique béninois. En effet, comment expliquer que le système électoral censé rythmer et arbitrer le processus démocratique sous d’autres cieux, semble, de façon paradoxale, au Bénin, accorder plutôt bonus à la mauvaise gouvernance décriée à cor et à cri.
S’il y a un mot qui a été le plus évoqué au cours des échanges, c’est bien le « dialogue » soit pour désapprouver la vision étriquée que l’on pourrait en avoir, mais surtout pour souligner son caractère incontournable en toute société qui plus est dans le contexte actuel de crise sociale grave du Bénin. Ce fut le dernier point des échanges de la conférence mensuelle d’avril 2015.
Le panéliste MEDEGNON comparant le Bénin d’aujourd’hui à celui de 1990 où l’on se trouvait aussi face à « un pays mort », a fait observer que les uns et les autres ont pris ce qu’il appelle « le pari de la résurrection », faisant allusion à la dynamique de dialogue instaurée par la conférence des forces vives qui a redonné vie à tout un peuple. Le dialogue, selon le chercheur, en tant que creuset idéal pour l’édification de la justice et la construction de l’édifice « paix » appelle la contribution et interpelle la responsabilité de tous.
Responsabilité, c’est le mot choisi aussi par M. TODJINOU Pascal pour distinguer les mouvements syndicaux au Bénin dont certains, comme il l’a indiqué, ont « le sens de la responsabilité » et savent ne pas franchir le « seuil de l’intolérable » quand ils observent chez leur interlocuteur une « mauvaise foi » et une volonté manifeste de faire déraper le mouvement. A titre indicatif il a donné l’exemple de la suspension du mouvement par certaines centrales syndicales en 2014 en dépit du refus de dialogue du gouvernement. M. TODJINOU a souligné que tous les « partenaires sociaux », c’est-à-dire tant les syndicats, que les employeurs n’ont pas toujours cette lecture du dialogue social qui doit s’accompagner de l’observance de part et d’autre de la mesure. Il estime que c’est ce qui explique le sentiment de « pourriture » du climat social dénoncé par les uns et les autres. Le responsable syndical a tenu au passage à saluer la claire perception chez l’ancien Chef d’Etat, KEREKOU Mathieu, « du seuil de colère » à ne pas laisser franchir dans les rapports gouvernement-syndicats, ce qui a permis d’éviter auparavant le pourrissement observé hélas depuis 2006
Invité à conclure la conférence, le Père Directeur a souhaité voir un changement dans la conception du bien public qui favoriserait les changements d’attitude dans les rapports sociaux entre partenaires impliqués dans un destin commun. L’Abbé Colbert GOUDJINOU a exprimé son vœu de voir la personne humaine réhabilitée pour occuper la place qui est la sienne puisque de la dignité, de l’unité et de l’égalité de toutes les personnes découle avant tout le principe du Bien commun auquel tout aspect de la vie sociale doit se référer pour trouver une plénitude de sens.
En définitive une société qui à tous les niveaux désire véritablement demeurer au service de l’être humain est celle qui se fixe le bien commun pour objectif prioritaire dans la mesure où c’est un bien appartenant à tous les hommes et à tout l’homme.
En fondant un véritable espoir sur le mouvement syndical comme vecteur de dialogue et promoteur de Bien Commun, le Père directeur de l’Institut a saisi l’opportunité de la période électorale pour lancer l’appel du Chant d’Oiseau en faveur de l’Unité du Bénin et de la paix et inviter chacun à être « éveilleur de conscience ». Rendez-vous est pris pour la conférence sociale du mois de mai qui aura pour objet principal la société civile.