Dans une interview accordée à l’équipe de la Coordination de l’IAJP, le Fondateur et Premier Directeur de l’IAJP/CO, le Père Raymond GOUDJO, parle amplement des origines de l’IAJP. C’était à l’occasion des quinze (15) ans de l’Institut, en décembre 2012.
1. Abbé Raymond GOUDJO, présentez-vous à nos lecteurs ?
Vous l’avez déjà dit, je suis l’Abbé Raymond GOUDJO, prêtre du diocèse de Cotonou. J’ai suivi un cursus normal en théologie sanctionné d’un doctorat en théologie en Allemagne, spécialité moral sociale. Depuis mon retour, je suis demeurée en service dans mon diocèse en travaillant tant pour le diocèse que pour l’Afrique de l’Ouest.
Actuellement nommé recteur de grand séminaire, je suis désormais au service de la formation des futurs prêtres pour le Bénin.
2. D’où vous est venue l’idée de la création de l’Institut ?
L’idée de création est venue d’abord de Mgr. Isidore de SOUZA qui m’a envoyé faire des études de doctrine sociale de l’Eglise. Au point de départ, il pensait me faire travailler dans un centre de recherche en matière sociale à Porto-Novo. Mais il s’est ensuite vite ravisé et m’a incité à créer un centre de recherche et de formation pour vulgariser la pensée sociale de l’Eglise tant dans le diocèse de Cotonou qu’au Bénin voire l’Afrique de l’ouest. C’est de là qu’est venue l’idée de la création de l’IAJP/CO.
Revenu au Bénin, j’avais reçu quelques indications de Mgr. Isidore de SOUZA et nous étions en recherche de site. C’est dans cette réflexion qu’il est décédé. C’est en ces moments que le feu Père Gilbert DAGNON de vénéré mémoire, en tant qu’administrateur, m’a donné toutes les facultés pour poursuivre l’œuvre. Le site qui convenait le mieux a été choisi à savoir l’espace entre le Collège Père Aupiais et l’archevêché de Cotonou.
Mais cela n’a été définitivement conclu qu’à l’arrivée de Mgr. Nestor ASSOGBA qui, lui aussi, a largement facilité le processus.
3. Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
D’emblée, je vais dire que j’ai été un homme heureux. C’est sûr qu’il y a eu des difficultés mais quand on revient des études et qu’on sait ce qu’on a à faire, et que pendant les études on a réussi à gagner la confiance de beaucoup d’amis et que des fonds ont déjà précédé votre retour, je ne pense pas que les difficultés constituent un écueil mais des barrières naturelles sur le chemin à franchir. Les difficultés, quand je regarde, ce sont toujours des situations humaines que j’appelle aussi des situations naturelles qui sont bonnes. Ce ne sont pas des méchancetés ou des contradictions mais ce sont des choses qui vous amènent plutôt à réfléchir et à donner un sens beaucoup plus spirituel à ce que vous faites. Il y a eu des personnes qui ont compris le projet, il y a eu des personnes qui ne l’ont pas compris, il y a eu des personnes qui ont cru que c’était une œuvre personnelle. Alors, pendant cette réalisation, il fallait se rendre compte qu’on n’est que serviteur tout en assumant fermement le devoir du serviteur inutile.
On dit en doctrine sociale de l’Eglise que, pour gérer le bien public ou le bien commun, il faut savoir le gérer comme son propre bien tout en ne s’y attachant pas. Et il me fallait le mettre en pratique. J’enseignais au grand séminaire, je donnais des cours, des conférences sur cette question, il fallait à présent me l’appliquer. Gérer le bien commun comme son propre bien signifie qu’on se bat pour son propre bien jusqu’au bout. En gérant ce bien propre commun, on s’y attache sans s’y attacher définitivement, car on peut en être détaché à tout moment.
4. Quels sont les souvenirs positifs et négatifs qui vous ont le plus marqués ?
Quand on parle de souvenirs négatifs, j’ai un avis un peu réservé d’autant plus que je viens de dire que les difficultés constituent des barrières naturelles à franchir. Ces situations sont donc bonnes lorsqu’on en fait une relecture sereine. Ces évènements négatifs ne sont rien par rapport au gain commun. Voici pourquoi je ne cherche pas à m’attarder sur le négatif.
Quant à parler des éléments positifs, il y en a beaucoup. Le premier, ce sont les hommes que j’ai croisés. J’en ai croisé dans les débuts de l’Institut, quand j’étais dans les bâtiments de la Conférence Episcopale du Bénin.
Je veux parler de ceux qui sont venus m’aider au point de départ, de ceux qui ont souffert avec moi par le petit travail que nous faisions. Quand on s’est investi correctement et qu’on a commencé à se sacrifier, j’ai l’impression que le reste vient de lui-même parce qu’on acquiert une forme d’assurance et les gens finissent par vous faire confiance.
Toujours dans l’idée des hommes croisés, j’ai eu la chance d’avoir des collaborateurs. Il faut reconnaître que ce n’est pas facile car il est arrivé de me fâcher même avec certains, de me brouiller parce que ça ne répondait pas. Ce sont tout cela des déchirements de cœur mais qui sont positifs et que je ne qualifierai pas de négatifs.
5. Le Chant d’Oiseau, est-ce un projet savamment pensé ou un concours de circonstance ?
Quand on se dépense personnellement, on se demande si on va passer toute sa vie à demander ou ne pas penser à l’autosuffisance. Il fallait donc écrire à des amis pour avoir un coup de main; c’est de là qu’est né un projet grandiose. Au départ, il était prévu pour l’Institut un bâtiment à étage, avec des bureaux et une salle de conférence au rez-de-chaussée et à l’étage, l’habitation des Pères. C’était vraiment tout petit.
Puis est née l’idée d’aller plus loin. C’est ainsi que le travail a commencé. Il fallait s’auto-suffire en croyant à la providence. Quand le centre a été construit nous nous sommes dit, que nous le céderons au public quand il n’y aura pas d’activités. Le temps de commencer nos activités, nous l’avons cédé au public. Voici pourquoi l’aspect entrepreneurial a semblé prendre le pas sur la recherche-formation.
L’IAJP est aussi un institut autonome lié à la pédagogie de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO).
6. Abbé Raymond, nous venons de voir que le Chant d’Oiseau est un projet véritablement pensé. Nous sommes tout de même curieux de savoir d’où est venu le nom ‘‘Chant d’Oiseau’’ ?
Le terme Chant d’Oiseau m’était initialement familier. J’ai une marraine, laïque qui est du tiers-ordre de saint François et qui a une maison qu’elle a appelé Chant d’Oiseau. Et j’ai pris part à une session au Chant d’Oiseau de Bruxelles, couvent des Pères franciscains. Je me suis alors dit qu’Institut des Artisans de Justice et de Paix ou IAJP est trop savant et qu’une appellation plus poétique désignant la paix y gagnerait.
Le Chant d’Oiseau est aujourd’hui plus connu que l’IAJP, heureusement que c’est la même réalité. Le Chant d’Oiseau n’est-ce pas chanter la paix ?
7. D’où viennent les financements ?
Tout a été un concours du don, voici pourquoi je me retrouve bien dans Benoît XVI lorsqu’il parle du don. Tout a commencé avec Mgr. Isidore de SOUZA qui m’a envoyé aux études. Là-bas, j’ai rencontré un professeur merveilleux. J’étais son premier étudiant africain et l’aventure a commencé. Tout m’a été donné tant par lui, par la paroisse que par les amis. Je n’avais donc pas besoin de toucher à ma bourse. L’économie ainsi réalisée m’a permis de commencer l’œuvre. Aussi mon professeur a eu une grande générosité. Quand sa mère décédait et il avait droit à un héritage assez important qu’il m’a cédé parce qu’il croyait en l’œuvre. Il y avait de quoi commencer.
J’ai eu la chance de construire au moment où il n’y avait pas la crise. Les européens donnaient, surtout mes amis italiens, allemands, français et américains US. Ils donnaient et ils donnaient en abondance. Ils cotisaient. Mes nombreux voyages étaient d’abord payés par eux et je revenais presque tout le temps avec deux à trois fois le montant du billet d’avion.
8. Au risque de croire que l’œuvre a été quasiment soutenue de l’extérieur, qu’en est-il de l’appui local ?
La plus grande contribution qu’a donnée l’Eglise du Bénin, c’est d’abord le terrain, il faut l’évaluer. C’est une grande générosité de l’archidiocèse de Cotonou pour le Bénin et pour l’Afrique. Il faut qu’on puisse bien marquer cela et je pense que les autres diocèses en sont reconnaissants parce que la valeur d’un espace comme celui-ci est inestimable. Certains Évêques requérant l’anonymat y ont contribué discrètement. J’ai aussi bénéficié de l’appui de bien d’amis de Mgr. Isidore de SOUZA. Les relations humaines et les facilités accordées ont été importantes. Il en a été de même sous Mgr. Nestor ASSOGBA qui m’encourageait et me donnait de l’argent de poche pour mes voyages. Il faut aussi citer le cardinal GANTIN qui m’a ouvert des portes insoupçonnées.
9. Hier sous tutelle de l’Archevêché de Cotonou, aujourd’hui sous la Conférence Episcopale du Bénin, qu’en est-il réellement ?
Dans l’Eglise, quand une œuvre nouvelle est initiée, malgré sa vocation régionale, elle commence toujours par être locale. Il y a eu donc un travail d’observation et cette décision, n’appartient qu’à l’évêque du lieu à qui il faut présenter l’historique de la création de l’œuvre, ses objectifs, son but et la raison pour laquelle l’œuvre a été financée. Ceux qui ont accepté de financer le projet, ne l’ont fait que dans la mesure où il devrait être d’envergure au moins nationale. Il fallait quand même respecter l’esprit des donateurs. Nous avons tenu à le rappeler aux différents archevêques et c’est heureux que Mgr. Antoine GANYE, après avoir pris un temps de réflexion et avoir vu toute cette croissance et cette maturité de l’IAJP, a accepté de signer les statuts, reconnaissant le fait que l’IAJP/CO soit un bien de la Conférence Episcopale du Bénin.
10. Votre regard sur l’IAJP/CO en tant que fondateur
Je dis : « Merci Seigneur pour ton œuvre au Bénin ». Ma satisfaction vient du fait que beaucoup sont satisfaits du Chant d’Oiseau. Si les autres sont contents, ai-je le droit de m’attrister ? N’est-ce pas à l’autre de porter un jugement sur le prochain ?
Mon souci et c’est aussi en action de grâce: c’est la relève préparée et en cours de préparation ne répond pas encore. Peut-être le Seigneur me rappelle que c’est lui et non moi qui ait bâti l’IAJP/CO. Il me faut donc laisser le Seigneur conduire sa barque.
11. Vous avez été nommé Recteur du grand séminaire Mgr. Louis PARISOT de Tchanvédji. Quels sont vos sentiments ?
J’ai été surpris par la nomination en même temps que j’ai été heureux. Vous savez, il est toujours bon de partir par vocation et non par calcul personnel et intéressé. L’effet surprise de cette nomination n’est pas désagréable, mais c’est un appel pour un autre horizon de mission. D’ailleurs nul n’est éternel, et tout appel nouveau nous le rappelle, alors pourquoi s’accrocher ? Je suis parti de l’IAJP/CO avec la ferme conviction que Dieu insufflera une relève de qualité. Personnellement, je ne crois pas que ça va dégringoler mieux, j’ai l’assurance que tout ira bien.
12. Selon vous, quels sont les nouveaux chantiers de l’IAJP à bêcher ?
Je ne peux rien dire de sûr à ce sujet. Sans travailler au pif, l’IAJP doit savoir lire l’aujourd’hui de Dieu, se demander ce qu’il faut faire pour être présent aux interrogations du peuple de Dieu. Le premier point pour moi, si c’est possible, l’IAJP doit chercher à s’étendre comme Institut de recherche pour la justice et la paix, un institut qui témoigne de l’Évangile en manifestant un amour de l’Église.
13. Un mot à l’endroit des collaborateurs, des membres IAJP et aux partenaires
A l’endroit des collaborateurs de l’IAJP/CO, je laisse seulement un mot qui est aussi une vertu : Courage. C’est une vertu cardinale. Alors : COURAGE.
Aux membres de l’IAJP, comme on le voit partout et au Bénin, j’ai beaucoup déploré la passiveté du grand nombre qu’il faut péniblement traîner derrière soi. Je loue par contre le dynamisme de certains. Mais je les encourage tous à bien plus d’engagement par amour de Dieu, de l’Église et de notre patrie.
Aux partenaires, je souhaite que la coopération aille de l’avant, sous le signe de l’alliance et dans le respect de l’orientation religieuse de l’IAJP/CO qui est une Institution d’Eglise et ne saurait le démentir dans ses contrats de coopération.
Aux amis, il me faut faire un signe de grande amitié.
14. Abbé Raymond, votre mot de fin
Merci, merci, merci