Le jeudi 24 juin 2021 au Chant d’Oiseau à Cotonou, l’Institut des Artisans de Justice et de Paix (IAJP) a tenu sa sixième conférence sociale mensuelle de l’année. Les échanges animés sous forme de panel ont porté sur le thème : « Le défi culturel de la condition féminine : Regard sur l’implication de la femme béninoise dans la Cité ». Les personnes ressources invitées pour animer ces échanges étaient, d’une part Madame Marie Odile ATTANASSO, Economiste des Ressources Humaines, enseignante-chercheure à l’Université d’Abomey-Calavi et ancienne Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique et, d’autre part, le Professeur Roch MONGBO, Titulaire de Socio-Anthropologie du Développement, enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi. La modération a été assurée par Monsieur Etienne AGBOGBE, Coordinateur de l’IAJP.

Les propos préliminaires à ce panel ont été de rappeler la perspective suggérée par les termes de référence de la conférence. Il était moins question de droits de l’homme comme quête, requête ou encore conquête. Il s’est agi d’une mise en lumière de l’indice d’implication de la femme et conséquemment d’une cohérente reconnaissance de sa grande responsabilisation dans la société. Ainsi, sous cet angle, les Droits de la personne, quant à la condition faite à la femme, seraient pris en compte comme une nécessité au nom de la dignité humaine.

Pour Madame ATTANASSO, en effet, la femme est impliquée dans la gestion de la Cité. Son engagement au quotidien en faveur du développement l’exprime. Cela est indéniable. Dès lors, il n’est plus question de se morfondre sur son sort mais de mettre en exergue son implication dans les secteurs de la productivité. Et en termes de chiffres documentant cette implication significative de la femme, Madame ATTANASSO a précisé que l’enquête Modulaire Intégré sur les conditions de vie faite en 2015 a permis une répartition des femmes et des hommes dans les différentes branches d’activités au Bénin.

Au niveau national, un peu moins de la moitié (44,5%) de la population enquêtée est dans l’agriculture, la pêche et la chasse, avec une prédominance de 52,7% des hommes contre 33,5% des femmes. Dans la branche d’activité commerce, hébergement et restauration, les femmes sont en nombre important et représentent 35% contre 8,7% pour les hommes. Dans l’industrie, on observe une légère prédominance des femmes (18,5% contre 12,7% pour les hommes). Les données des branches d’activités relatives à l’eau, à l’assainissement, à l’électricité et au gaz ; au secteur du bâtiment et des travaux publics ; au transport et à la communication, montrent une faible proportion de participation des femmes. Par contre, on note une égalité de proportion d’implication des deux genres dans la branche d’activité liée à la Banque et à l’Assurance. En outre, l’analyse selon le sexe révèle que les ménages dirigés par les femmes se consacrent plus aux emplois indépendants et s’installent plus à leur propre compte (93,1% contre 80,9% chez les hommes).

Si toutes ces données suffisent à mettre en relief l’implication de la femme dans le domaine économique, il reste qu’elle fait face à deux contraintes majeures : l’accès à la terre pour la production et l’accès à des crédits consistants pour le financement d’initiatives de grande envergure. Or, comme l’a révélé un rapport de la Banque Mondiale en 2001, si les inégalités entre les sexes dans les pays au sud du Sahara étaient réduites, le niveau de développement dans ces pays serait doublé. On aurait ainsi donné la possibilité à la femme de mieux se déployer dans la gestion de la Cité.

Un autre aspect abordé par Madame ATTANASSO est la somme des activités domestiques non prises en compte comme donnée économique majeure. A ce niveau, en revoyant la comptabilité nationale en ses statistiques, on pourrait prendre en compte ces activités considérées comme des travaux de soins non rémunérés pour en faire des données économiques. Une étude réalisée en 1998 a montré que si ces activités de la femme étaient comptabilisées comme marchandes, les femmes contribueraient à plus de 43 % au PIB. La femme est également celle qui s’occupe du capital humain productif (la personne humaine) par sa mission éducative.

S’il y a un secteur où la femme n’est pas active, c’est en matière politique ; elle n’est pas assez impliquée dans les lieux de prise de décision. Elle est très peu représentée dans les gouvernements ; il en est de même à l’assemblée nationale et dans la gestion des municipalités et commues. Quatre facteurs pourraient expliquer cet état de chose : le manque de moyens financiers, le taux d’analphabétisme, la difficulté à participer aux réunions politiques à des heures tardives pendant qu’il faut qu’elle s’occupe du ménage et plus généralement le caractère patrilinéaire de la société qui a tendance à reléguer la femme à la gestion domestique.

Prenant la parole, le professeur MONGBO s’est globalement montré en phase avec sa collègue. Son rapport au sujet en débat l’a conduit à identifier trois grands domaines dans l’organisation de la Cité :

  • Les lieux de production de la richesse : la femme est très active à ce niveau ;
  • Les lieux de prise de décisions politiques : c’est là où la richesse nationale produite est répartie et où les décisions sont prises pour organiser cette production de richesse nationale. On parle aussi de centre de décisions. La femme n’est pas véritablement active à ce niveau ;
  • Les lieux de débats sur les décisions politiques : c’est partout où les hommes se réunissent : les entreprises, les ateliers, etc. La femme, comme tous les autres acteurs, est présente dans ce cadre.

Toute la problématique réside dans l’absence de la femme là où les décisions sont prises, or ces décisions impactent toute la vie dans la Cité. C’est depuis le niveau du village, en passant par les collectivités locales, pour en venir au niveau législatif et exécutif que la vie sociale est orientée. Si la société a fini par hériter et à s’accommoder de cette situation qui fait la part belle aux hommes, il y a aujourd’hui objectivement là un défi à affronter. D’une part, il s’agira pour les hommes de se dessaisir en partie de leur pouvoir pour le partager avec les femmes et, d’autre part, de démystifier le partage des rôles dans la société. Que ce soit exclusivement la femme qui s’occupe des tâches domestiques, cela est une production sociale, donc une réalité culturelle transmise de génération en génération par le mode d’éducation. Pour le professeur, il n’y a aucune raison objective qui puisse soutenir le fait que la femme ait été active toute la journée comme l’homme, mais qu’à elle en exclusivité revienne l’occupation des travaux domestiques, pendant que l’homme se livrerait à des activités de plaisance.

Si les conditions de la femme sont améliorées afin qu’elle soit plus active au niveau des centres de décision en apportant sa contribution, ce n’est pas à elle seule le profit mais à toute la société. La rendre plus partie prenante des décisions contribue significativement au développement du pays.

Au total, la thématique suggère aussi que la femme doit par elle-même faire face à des challenges propres :

  • avoir une forte conviction et confiance en soi ;
  • s’assurer un bon niveau d’instruction ;
  • s’investir dans les débats publics, les lieux de décision et l’engagement au plan social ;
  • sortir des sentiers battus dans lesquels les clichés sociaux la maintiennent ;
  • agir en leader ; etc.

Après les échanges directs entre les panélistes, le public a participé aux débats par des contributions et questions. On retiendra de ces interventions les principaux points ci-après :

  • Les éléments au plan culturel qui font que la femme n’arrive pas à participer à la gestion de la Cité.
  • Les notions en langue locale fon : « sounou glégbé nou » (sunu glegbenu) et « gnonnou xwéçi »(nyonu xwesi) n’expliquent-t-elles pas la disparité au plan culturel entre l’homme et la femme en termes de séparation des fonctions sociales ?
  • L’autre expression : « Sounou mon dan bo gnonnou hou » (sunu mo dan bo nyonu hu). L’homme a repéré un serpent et la femme l’a tué, l’important est que le danger que constitue le serpent soit enrayé, n’indique-t-elle pas cette importance de la complémentarité ?
  • L’éducation n’est-elle pas globalement à repenser, surtout qu’il y a une tendance à contenir la fille aux travaux domestiques tandis que le garçon se voit beaucoup plus libre ?
  • La question du harcèlement sexuel qui s’impose parfois aux femmes afin de bénéficier de certains avantages ou facilités.
  • Les hommes qui empêchent leur épouse d’aller travailler disant qu’ils peuvent s’occuper d’elles.
  • Le regard que la femme a d’elle-même.
  • Faut-il valoriser ce que fait la femme ou l’amener à faire ce que les hommes font ?

Les conférenciers, avec grande ouverture, ont reconnu qu’il faudra du temps pour arriver à casser la reproduction systématique actuelle mais il y a des signes positifs de changements progressifs. En assurant une meilleure gestion des partis politiques, en prenant en compte le travail domestique de la femme dans la comptabilité nationale comme c’est le cas au Maroc ou en France, en veillant à l’instruction des filles dans la durée, en facilitant l’accès des femmes aux lieux de décisions pour qu’elles y apportent plus d’équité dans la répartition et en améliorant le cadre éducatif qui se tient du culturel, on donnerait tant à l’homme qu’à la femme de s’inscrire dans une heureuse complémentarité pour le mieux-vivre ensemble pour tous.

C’est à cette nécessaire complémentarité qui se vit non pas dans la valorisation d’un sexe au détriment de l’autre que le Père Colbert GOUDJINOU, Directeur de l’IAJP/CO, a invité le public dans son mot conclusif. L’intérêt de ce sujet réside dans le chemin d’espérance qu’il ouvre dans le sens de la dignité de la personne humaine car, l’homme et la femme, tous deux créés par Dieu, sont égaux en droit et en dignité. Dans ce sens, le rapport au culturel, à la tradition ne doit pas nous maintenir dans les pratiques qui n’honorent pas cette dignité. La tradition, dans son principe, est riche de l’esprit qui a fait les choses, les maintient et les améliore au besoin du temps et de l’époque. Il y a donc lieu d’oser progressivement mais résolument cette marche à la rencontre de l’humanité en chaque être, homme et femme. Aucune société n’est statique.

Il a exprimé également sa gratitude aux conférenciers et a conclu la séance par la prière. La prochaine conférence est prévue pour le 21 octobre 2021.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici