Les conférences sociales mensuelles prévues par l’Institut des Artisans de Justice et de Paix / Chant d’Oiseau (IAJP/CO) en cette année 2021 traiteront d’un sujet d’intérêt majeur : « LES DROITS DE L’HOMME : CHEMIN D’HUMANITE ». Le premier thème de cette série de conférences est intitulé : « La traite négrière, un défi historique d’humanité : leçons et perspectives pour notre génération ». Cette conférence, tenue comme d’habitude dans les locaux du Chant d’Oiseau, a été présentée par le Père François de MEDEIROS, Religieux dominicain et Historien. Voici le compte rendu présenté par le modérateur, Monsieur Etienne AGBOGBE.

L’objectif général de cette première conférence sociale organisée le 21 janvier 2021, tel que les termes de référence le précisent, a été de rappeler les pages inédites de la traite négrière écrites contre les Droits de l’homme afin d’en raviver la conscience et d’en dégager des repères sûrs pour le présent et le pour le futur. Aussi, loin d’exacerber des tensions raciales, une telle visite des pages de l’histoire doit éveiller au meilleur de l’humanité.
Dans ce cadre de réflexion, le Père de MEDEIROS a fait remarquer d’entrée de jeu que la question de la traite négrière n’était pas qu’un défi car il s’agit ni plus ni moins d’un refus de reconnaissance de l’humain en des êtres pourtant humains ; en clair, d’un déni d’humanité, voire d’une déshumanisation. En effet, la traite est apparue comme une privation institutionalisée de ce qu’il y a de plus constitutif en l’homme, sa liberté. Même si nous pouvons considérer qu’il s’agit d’un ensemble de faits passés dont l’histoire garde douloureusement mémoire, nous ne manquons pas de raisons de croire à une étonnante actualité de la traite qui a épousé diverses formes nouvelles au cœur d’un monde qui semble ignorer l’évidence, tout en sachant tout sur ce genre de phénomène. Il n’y a qu’à penser à ce qui se passe sur le chemin de tous ces ressortissants de pays africains qui sont pris en otage dans leur exode vers « la terre du bonheur » et qui sont réduits en esclavage dans le Maghreb, notamment en Lybie et ailleurs.
Pour le conférencier, la traite négrière a consisté à vendre les populations noires comme des objets, des articles. Mais au départ, l’intention des occidentaux était de satisfaire leur désir de découverte de l’inconnu et de l’inexploré ainsi que leur besoin d’expansion industrielle. Voilà ce qui a motivé la conquête des Portugais. Malgré la conviction de leurs contemporains qu’à l’époque il y avait deux mondes, le leur et l’autre qualifié de terrible, chaud où il n’y avait aucune vie, les navigateurs portugais ont bravé ce qui semblait une incertitude pour finalement découvrir au-delà de leurs murs qu’il y avait bel et bien une vie, des populations et de la verdure. C’est alors que les expéditions démarrèrent et finirent par se muer en traite des Noirs capturés ou achetés. Des expéditions, l’on est donc passé aux expositions des éléments découverts et rapportés parmi lesquels des humains.
A l’analyse, le Père de MEDEIROS relève que la traite se présente comme un système qui s’est établi dans une vision binaire du monde. Il y avait d’un côté le monde de la lumière habité pour les Blancs et, de l’autre, le monde des ténèbres où vivent les Noirs considérés comme étant a priori dépourvus de foi, de loi et de roi et à qui il fallait apporter tout ceci. Une fausse lecture et une insidieuse interprétation de la malédiction de Cham, l’un des trois fils de Noé, dans le livre de la Genèse (Gn 9) a beaucoup inspiré les mentalités dans ce sens : la race noire étant perçue comme descendante de Cham, donc maudite. Que celle-ci soit soumise à l’esclavage n’était donc que chose normale. Au final, une forte conviction construite sur des idées sans fondement a ouvert la voie une ignoble « exploitation de l’homme par l’homme ».
Et le conférencier de s’interroger : comment des sociétés marquées à l’intime par les valeurs de l’Evangile ont pu se livrer à de telles pratiques ? La même question se pose au sujet de la traite plus ancienne et plus longue organisée à l’intérieur de l’Afrique, traite arabo-musulmane dont l’arrière-plan est bien imprégné par le fait religieux. Aussi comment ce phénomène a-t-il pu se dérouler dans le temps sans prendre en compte le mental et la psychologie des victimes ?
Comme le suggère l’argumentaire de la conférence, il ne s’agit pas d’effacer les pages négatives du passé ni de nous y enfermer. Il ne s’agit pas non plus de pointer du doigt l’auteur désigné de la traite, surtout que s’il y a eu des acheteurs, d’une manière ou d’une autre, il y a eu des vendeurs, des acteurs noirs. Le citoyen responsable n’entrera pas dans ce service accusateur, la conduite à tenir étant de tirer de justes leçons pour vivre le présent et construire le futur.
A ce niveau, le conférencier s’est interrogé sur les perspectives, étant entendu que la traite se pratique aujourd’hui encore dans nos Etats, nos maisons, par le canal de différents phénomènes non pris en charge de façon pertinente : les migrations, les enfants placés, les filles « commercialisées », etc. Même s’il faut une meilleure gouvernance à tous les niveaux dans nos pays, macro, méso et micro, il reste que nous devons davantage nous nourrir de l’espérance et nous engager plus activement dans le quotidien de nos responsabilités. Il faut donc avancer comme dans le déploiement d’une bicyclette ; autrement, nous perdrons l’équilibre pour finir par faire une chute. Il y a ce que les autres peuvent penser de nous mais il y a ce que nous pensons de nous-mêmes qui est de nature à nous faire avancer ou non et même ce que nous donnons à penser de nous et qui détermine en grande partie le rapport de l’autre à nous.
S’il y a le défi de réécrire notre histoire afin de restituer les justes données, il est tout aussi important de savoir que dans le concert des nations, nous avons notre destin en main. Les clichés et représentations non profitables doivent être délaissés au profit de notre affirmation par la présence à nous-mêmes, la conscience éveillée du bien commun et la qualité de notre engagement.
Au terme de l’exposé, les échanges ont permis aux uns et aux autres d’apporter des contributions et de poser des questions pour un meilleur approfondissement du sujet. La séance a été conclue par la prière conduite par le Père Colbert GOUDJINOU, Directeur de l’IAJP/CO. La prochaine conférence est prévue pour le 18 février 2021.