Le jeudi 23 juillet 2020, le public a été invité à la quatrième conférence sociale de l’Institut des Artisans de Justice et de Paix / Chant d’Oiseau (IAJP/CO) qui a réuni un nombre impressionnant de participants. Pour la bonne marche de la rencontre, un accent a été mis sur le respect des mesures barrières à la transmission de la COVID-19. Le conférencier est Maître Robert DOSSOU, Avocat, Ancien Bâtonnier, Ancien ministre, Ancien Président de la Cour Constitutionnelle du Bénin et personne ressource de renommée internationale. La thématique qui a mobilisé la réflexion et les débats est : « La situation du système partisan au Bénin : histoire et perspectives transformantes ».
A l’entame de son propos, le conférencier fait observer que la question du système partisan est un sujet important qui ne laisse personne indifférent. Aussi, pour une meilleure appréciation de cette question, sa démarche a consisté en un premier temps à clarifier les concepts, à savoir « le système », « le parti politique » et le « système partisan », avant d’en venir en un deuxième temps aux réflexions sur le sujet.
Le système, selon le Petit Robert, est un ensemble organisé d’éléments intellectuels. Il est aussi un ensemble possédant une structure constituant un tout organique. Cette seconde définition s’applique tant aux choses de la nature qu’à l’homme lui-même. Ainsi, l’être humain fait partie d’un système plus englobant tandis que lui aussi organise sa vie en système, par son intellect et ses capacités propres. Appliqué aux partis politiques, le système devient l’agencement de réalités politiques à l’intérieur d’un cadre étatique déterminé.
Quant aux partis politiques, la définition qui sied est celle de l’article 2 de la loi n°2018-31 du 17 septembre 2018 portant Charte des partis politique en République du Bénin : « Les partis politiques sont des groupes de citoyens, partageant des idées, des opinions et des intérêts communs et qui s’associent dans une organisation ayant pour objectif de conquérir et d’exercer le pouvoir, et de mettre en œuvre un projet politique ».
Quid du système partisan actuel au Bénin ? De façon générale, l’histoire a révélé qu’il y a trois catégories de système partisan : le système multipartiste, le système bipartisan (et les deux pays qui en sont célèbres à ce jour dans le monde sont les USA et la Grande Bretagne où deux partis s’alternent au pouvoir) et le système de parti unique.
A l’aune de ce panorama du système partisan, la question est de savoir comment situer le Bénin : sommes-nous dans un système de multipartisme, de deux partis politiques qui s’alternent dans la gestion du pouvoir ou dans un système de parti unique ? Pour répondre à cette question, Monsieur DOSSOU a indiqué un préalable : quelle est la place des Droits de l’homme dans la chose politique ? Autrement dit, peut-on considérer un système de parti politique en dehors de l’acception que l’on a des Droits de l’homme ? Il s’agira alors d’examiner la question des Droits de l’homme en lien avec la démocratie et ensuite de voir dans quelle catégorie classer le système partisan béninois.
D’emblée, le conférencier a souligné que toutes les questions de vie en société organisée en Etat partent obligatoirement des Droits de l’homme. Et l’organisation de la société est fondée sur ces droits. L’animation de la vie politique a été un processus amorcé de façon embryonnaire. A titre informatif, le communicateur a rappelé que de façon générale, la structuration des partis politiques a été un processus ayant commencé aux USA à partir de 1828, en Grande Bretagne, à partir de 1832, en France, en 1848 et dans les colonies françaises, c’est à partir de 1945-1946. Au Dahomey spécifiquement, la première personnalité qui a parcouru tout le territoire pour d’abord créer des comités électoraux en vue des élections où il fallait envoyer des députés au palais Bourbon est Monsieur Augustin Kokou AZANGBO. C’est après les élections que ces comités ont été transformés en l’Union Progressiste du Dahomey qui fut le premier parti politique dans notre pays. Mais dès 1951, les mésententes ont commencé et en 1952 Monsieur AZANGBO a démissionné. L’éclatement de ce parti a engendré trois nouveaux partis dont : MDD qui deviendra ensuite RDD situé géographiquement dans la partie Nord du pays ; PRD à Porto-Novo créé par Monsieur AKPITY et UDD par Monsieur AHOMADEGBE.
Ce qu’il faut retenir, c’est que pour toute constitution ou apparition de parti politique, c’est la démocratie, l’élection et l’élargissement du vote qui sont mis en lumière. En conséquence, la reconnaissance du droit de vote est un Droit de l’homme par excellence. Et c’est cette reconnaissance des Droits de l’homme qui débouche sur la création de parti politique. Il y a donc à ce niveau deux constatations majeures faites par le Conférencier. S’agissant de la première constatation, la démocratie est un élément constitutif des Droits de l’homme. En d’autres termes, on ne peut pas adhérer aux instruments des Droits de l’homme et ne pas pratiquer la démocratie. Quant à la seconde, Droits de l’homme et partis politiques sont liés.
Explicitant sa pensée sur les constatations faites, Monsieur DOSSOU précise que pour une mise en œuvre cohérente, pertinente et durable de la démocratie (existence et fonctionnement), il faut l’Etat de droit. Et on parle d’Etat de droit lorsque dans une société, le comportement des gouvernants et des gouvernés se conforment à la règle de droit. Il faut ensuite que cette règle de droit soit moulée dans les Droits de l’homme. Les lois ne doivent donc pas violer la dignité de la personne humaine. C’est un principe fondamental qui est aussi valable au niveau des partis politiques. Ainsi même la loi électorale doit-elle être en phase avec ce principe. Aucun citoyen (ressortissant d’une Cité) ne doit être privé du droit de participer aux processus électoraux tant pour voter que pour être candidat, tant qu’il remplit les conditions. Au total, tout notre agir au niveau de l’Etat comme des partis politiques doit partir des Droits de l’homme et à chaque fois, il nous faut nous poser la question de savoir si ce que nous voulons faire est conforme et respecte la dignité de la personne humaine.
Sur la base de ses prémisses, le Conférencier a affirmé que le système partisan béninois actuel ne peut pas être considéré comme un système multi partisan. Même s’il y a des raisons pour soutenir les changements actuels dans le système partisan béninois, la configuration actuelle ne semble pas totalement satisfaisante. Elle interpelle et sollicite sans doute des affinements. La référence à notre histoire nous fait retrouver le fait que dans les 1960 et plus précisément à partir de 1961 nous avons fait l’expérience du parti unique et de ses revers. On ne peut pas du jour au lendemain obtenir que les positions ou oppositions soient totalement et parfaitement disciplinées. N’oublions pas également que nous ne sommes pas encore constitués pleinement en Nation et que notre Etat, comme institution, demeure en gestation. Nous avons un appareil qu’une équipe prend dès son arrivée et sans limites, fait ce qu’elle veut, dans une tendance de « patrimonialisme » débouchant sur un « messianisme » qui fait qu’on n’écoute plus l’autre.
En réalité, clarifie Monsieur DOSSOU, le système béninois actuel est un système monopartiste déguisé qui a tenu compte de l’état actuel des choses notamment en ce qui concerne le mode d’accessibilité au pouvoir par les élections. Le non-respect des Droits de l’homme, à son point de vue, tant dans les textes de lois soutenant la réforme du système partisan que dans l’appareillage de la justice et la non existence d’un véritable parti d’opposition sont de nature à conforter la prééminence du monopartisme actuel qui ne dit pas son nom.
Mais malgré ces réalités, il y a de l’espérance car le temps fera certainement son œuvre. Aussi, les épreuves, tout en fortifiant, aguerrissent l’homme. Il faut savoir que la démocratie n’est pas une autoroute droite ; elle peut aller en dents de scie. Rappelons à toutes fins utiles que cette conférence, dans la pensée des organisateurs, a entre autres comme axe de réflexion présentés dans les termes de référence : « Si un processus est en cours avec la nouvelle charte portant reconnaissance des partis politiques au Bénin, du chemin reste sans doute à faire vers des configurations moins débridées et donc plus honorables pour notre démocratie. Cette conférence se proposera de revisiter la situation du système partisan au Bénin, à travers le parcours historique et les perspectives qui offrent objectivement un cadre politique plus constructif ».
Au terme de cet exposé, un moment de débats a été observé. Notons qu’il y a eu les interventions de quelques personnalités à savoir : Monsieur Ousmane BATOKO, Président de la Cour Suprême et Monsieur Théodore HOLO, Ancien Président de la Cour Constitutionnelle. De ces échanges généraux, nous retenons les points ci-après :
- La notion de réciprocité entre Démocratie et Droits de l’homme : Autant on ne peut pas envisager la démocratie sans les Droits de l’homme, autant il n’est pas possible de concevoir les Droits de l’homme sans la démocratie. En réalité, ces deux notions sont si intimement liées que la reconnaissance des droits de l’homme a créé la démocratie et la démocratie a promu les Droits de l’homme.
- La liaison fondamentale entre Démocratie et Droits de l’homme est une évidence. On ne peut pas se prétendre démocrate quand on ignore les droits humains. Et l’Etat de droit garantit cela à travers une justice indépendante. La loi en elle-même ne suffit pas pour parler de l’Etat de droit ; il faut que cette loi soit respectueuse de la dignité de la personne humaine.
- Les Droits de l’homme sont universels et indissociables. Les révoltes naissent quand ces droits sont bafoués.
- La problématique de la conciliation des Droits de l’homme et du Développement dans un système démocratique. En fait, le droit au développement est un Droit de l’homme. Aussi la démocratie est-elle aujourd’hui un élément contenu à l’intérieur de la notion des Droits de l’homme. En d’autres termes, tout ce qui contribue à l’épanouissement de l’homme dans la société est de l’ordre des Droits de l’homme : que ce soit la gestion de l’Etat, la gouvernance, etc.
- Au regard de l’histoire politique du Bénin et des enjeux, le système partisan qui serait équitable et adéquat est le multipartisme. Agir autrement contribue à engendrer des frustrations qui sont à l’origine d’implosions inattendues.
- Les enjeux de l’élection présidentielle de 2021 : le parrainage, l’ouverture à toutes les tendances malgré le système mono partisan déguisé. En réalité, le système partisan est l’expression de la liberté. Et cette liberté peut être utilisée à des fins diverses, bonnes ou non. Mais ce n’est pas parce que les uns auraient utilisé cette liberté pour mal agir que la loi aura tendance à la supprimer. La meilleure approche devrait conduire à canaliser la liberté sans la supprimer. Et cette canalisation doit être respectueuse de Droits de l’homme car le volontarisme législatif ne règle pas tout. Il faut provoquer une prise de conscience non pas par la violence ni par la dictature car le système actuel crée des frustrations. Aussi pour permettre une élection inclusive, faudrait-il concéder à l’abrogation du parrainage et alléger le cheminement des partis politiques pour être en règle vis-à-vis du cadre légal établi.
- S’agissant des intellectuels et des cadres, leur responsabilité dans l’évolution en dents de scie de notre démocratie est significative. En effet, ils représentent le lien entre la masse des électeurs et les candidats. La plupart, faisant des calculs d’intérêt et de carrière, s’allient plutôt à des candidats ne provenant pas de partis politiques. Dans ce contexte, il est pertinent de se demander si la création d’un parti politique au Bénin répond véritablement à un idéal démocratique ou à une volonté de paraître et de monnayer un positionnement. En approfondissant les analyses à partir de l’histoire des mentalités, on pourrait apprécier au mieux pourquoi à des moments donnés des peuples piétinent pendant que d’autres avancent. Il nous faut savoir reconnaître nos limites et reprendre honorablement le chemin de la transformation personnelle et sociale.
- Relativement à l’activisme des jeunes pour participer à la démocratie et contribuer au développement du Bénin, il faut retenir que chaque génération doit découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. Il y a donc un effort de conscience à faire par la présence à soi et autour de soi en citoyen actif dans la Cité.
- D’autres sujets ont été évoqués : le rôle de l’armée dans une démocratie, la notion d’Etat non encore solidement construit au Bénin et la problématique de l’éducation comme cadre de transmission des valeurs à la jeune génération par les aînés.
Pour conclure la séance, le Père Colbert GOUDJINOU, Directeur de l’IAJP/CO, après avoir remercié le public venu en grand nombre, le modérateur et le conférencier, a exhorté les uns et les autres à davantage apprendre de notre histoire pour savoir la réorienter au mieux et en être de plus en plus fiers. C’est porté par cette histoire que nous aurons une meilleure aptitude tant à la partager avec les autres qu’à agir en citoyens engagés au cœur de notre Cité. Aussi, en sachant que le temps est supérieur à l’espace, nous serons plus portés à prendre le temps pour poser les bonnes et durables fondations en vue de la construction de notre commune Nation. Avant la prière de clôture, il a annoncé la prochaine conférence prévue pour le jeudi 17 septembre 2020. Elle portera sur le thème : « Le citoyen béninois et l’argent : comment reconquérir la primauté des valeurs humaines ». Elle sera animée par le professeur Adolphe KPATCHAVI.